Avec Claude Sarraute qui nous avait fait découvrir sa propre vie de senior +, nous terminons ici, notre navigation parmi les livres très utiles pour ceux qui veulent comprendre la vieillesse de la vieillesse, avec un ouvrage de Pierre Gobiet: Une si longue vie : Comprendre et accompagner le grand âge.
« Pardonnez-moi mais je contemple le coucher du soleil… »
Confronté à la réticence des personnes âgées à se rendre chez un psychologue, Pierre Gobiet a inversé la démarche thérapeutique. Sans modèle de référence, mais avec la conviction de l’utilité d’un projet pour accompagner des personnes très âgées, à domicile ou en maison de retraite, il a rencontré des seniors qu’il appelle «les arpenteurs du temps».
Avec ces seniors, il a découvert les particularités des territoires du très grand âge et trouvé des réponses à la question: « À quoi pensent donc les personnes très, très vieilles, qui donnent parfois l’impression de ne plus rien attendre de la vie? ». Le psychologue partage son exploration et surtout les enseignements qu’il en retire. Il aborde tous les thèmes délicats, du souhait de mourir, de la mémoire, de l’oubli, à la solitude du senior très âgé.
L’auteur
Psychologue belge, Pierre Gobiet travaille dans un centre de santé mentale et a développé une consultation ambulatoire sur les lieux de vie pour personnes âgées. Au fil des ans, il a porté une attention particulière à la quête de ces personnes de très grand âge.
Commentaire
Pierre Gobiet définit la vieillesse de la vieillesse ou le très grand âge comme la période qui s’étend au-delà de la durée de l‘espérance de vie, soit la période qui suit les 83-84 ans.
Ce livre dépasse l’aspect des soins ou les difficultés habituelles pour nous faire comprendre ce qui anime ces grands seniors dans cette ultime étape. La question qui revient souvent : « Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que je vis encore ? » . Les personnes du très grand âge peuvent et veulent rester acteurs de leur vie même si elles présentent des situations de grande dépendance et des lacunes. La lenteur et l’oubli ont des vertus. La solitude à cet âge avec ses particularités, la disparition des amis et de pans entiers de la famille est bien cernée. L’ingéniosité de certains seniors à se mouvoir dans le quotidien est illustrée.
Beaucoup d’auteurs, de chercheurs ont analysé, détaillé finement le paradoxe de la vieillesse à savoir l’autonomie dans la dépendance, axe de référence sur lequel insiste particulièrement le psychologue. Cette autonomie dans la dépendance est un idéal attirant, sans doute plus pertinent pour des personnes qui ont encore de bonnes capacités de parler ou de s’exprimer par exemple avec un psychologue. Pierre Gobiet parle d’ailleurs d’«autonomie dialectique», qui au quotidien serait un véritable défi pour les octogénaires.
Véritable défi aussi pour beaucoup de proches aidants, détruits ou harcelés aussi par cette autonomie du grand senior ainé « à concilier ou à gérer » dans une période difficile pour eux. Si je reprends les réflexions de JC Ameisen* mentionnées dans l’ouvrage de Pierre Gobiet, la soixantaine est la période des tempêtes, moment où il y a risque accru de maladie grave et la probabilité de mourir. La période au-delà des tempêtes, c’est le grand âge. L’aide quotidienne aux grands seniors, durant une dizaine d’années maintenant, s’effectue donc la plupart de temps pour les accompagnants familiaux dans leur période personnelle de tempêtes.
Si de grands seniors peuvent se sentir «rescapés» comme le mentionne le livre, d’autres accompagnants aujourd’hui décédés avant leurs parents ont eu le sentiment d’être dupés, harcelés par une demande excessive du grand senior** de maintenir son autonomie envers et contre tout, et qui s’exprime parfois même dans la phase ultime de la fin de vie de l’aidant. Plusieurs situations tragiques m’ont rendue prudente et vigilante avec l’expression d’un idéal certes noble et admirable de certains seniors très âgés. C’est le cas quand cet idéal est revendiqué de manière inappropriée ou égoïste par un grand senior. Cette exigence ultime est parfois relayée et soutenue par certains soignants ou professionnels qui n’interviennent que très ponctuellement pour le senior sans prendre en compte les contingences de la dynamique familiale.
La complexité de la prise en charge des grands seniors «autonomes-dépendants» est, selon moi, une question sociale ambiguë totalement ignorée, encore passée sous silence.***
Quoi qu’il en soit, je recommande ce livre indispensable tant pour les soignants que pour les accompagnants. Le livre ne relate pas un traitement psychologique mais l’accompagnement humain des personnes et apporte un éclairage primordial sur le noyau central des motivations de ces grands seniors. Les lecteurs auront des clés essentielles pour comprendre les enjeux qui animent un senior +, ce qui leur évitera de s’enfoncer dans une période d’affrontements stériles.
Vendanges tardives…
Il ne faut sans doute pas perturber par des initiatives intempestives ce temps précieux des grands seniors mais les laisser propriétaires de ces moments qui leur permettent d’effectuer à leur rythme un dernier cheminement personnel de sens de vie, nécessaire à leur complétude. Le seul risque du grand âge est la mort.
Un passage :
« Au-delà de 85 ou 90 ans, dans le grand âge donc, cette période de tempête semble révolue. Le cap des grandes turbulences liées aux maladies graves précitées semble franchi; en tout cas, la probabilité de leur survenue paradoxalement diminue et le voyage dans le temps s’écoule de façon plus paisible ».
» Une si longue vie: Comprendre et accompagner le grand âge ». Pierre Gobiet. Editeur Mardaga. 2015
*La sculpture du vivant. 1999
**La demande en elle-même d’aide d’un senior + pour l’aider à maintenir son autonomie peut même être très raisonnable. Mais le nombre de grands seniors ou les durées d’accompagnement en se cumulant peuvent dépasser les capacités du seul aidant naturel. Un exemple: j’’ai eu l’occasion de rencontrer une dame dans la septantaine, Emilie, auprès d’une quasi centenaire à l’hôpital. C’était sa marraine qui n’avait plus qu’ Emilie comme famille. Emilie prenait aussi soin de sa maman qui habitait près de chez elle et d’une autre tante centenaire dans un home…
*** Cette question est indubitablement liée au plafond de verre de l’autonomie et à ses éternels oubliés.