« Le réveil du cœur » François d’Epenoux.

Jean travaille dans la publicité. Il n’a jamais osé présenter, à son père, sa compagne Leïla d’origine marocaine.

Son père, c’est le «Vieux» fantasque, bougon, solitaire, obnubilé par son époque et réfractaire à la modernité.  Sa devise : « Ne jamais avoir à regretter de ne pas avoir tout tenté».

La séparation chaotique avec Leïla  amène Jean  à confier durant le mois d’août son fils de 6 ans à son père, le «Vieux » grand-père. Pour le Vieux et Malo, c’est un mois de rêve, de partage où l’un et l’autre s’apprivoisent avec des jeux et des promenades dans la nature.

Malo retourne chez sa mère. Le « Vieux » qui va avoir quatre-vingt ans est conscient de la fragilité de sa santé et quitte Lacanau pour un séjour en Ecosse chez son frère. Il veut y retrouver une vie simple et contempler la mer. Lui, l’ennemi des technologies modernes, reste en contact par skype avec son petit-fils  Malo, en cachette de son fils Jean.

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« Bientôt, la marée monte, menaçante, étirant toujours plus avant ses assauts en direction de la citadelle. »(p.158)

L’auteur.

Ecrivain français né en 1963, François d’Épenoux  a travaillé pendant plus de 10 ans dans une agence de communication. Il est  l’auteur  de sept romans, notamment  « Les bobos me font mal », « Les papas du dimanche », « Même pas mort ».

Photos2013.jpgUn grand-père et son petit-fils.

« Le réveil du cœur »: c’est l’histoire d’un grand-père et de son petit-fils. Je n’analyse pas vraiment ce roman comme un conflit de générations mais comme une rencontre entre deux personnes vivant à des époques différentes : un « vieux » réfractaire à la modernité et proche de la nature et un petit-fils vivant dans notre monde hyper-connecté et sécurisé.

Le romancier illustre le déficit de communication entre les protagonistes. Sans incriminer l’une ou l’autre partie, François d’Épenoux  montre comment la création d’un lien et la transmission entre générations peuvent devenir aujourd’hui compliquées. Les jeunes parents, pris dans leur vie active, revendiquent la tolérance mais sont a contrario critiques et exigeants envers le grand-père. Longtemps, les visites du grand-père à Malo «une fois par mois dans un lieu neutre» ont été évaluées, soupesées d’où les réactions réservées du Vieux, devenu désabusé.

Puis il y a une grande leçon du livre pour tous les lecteurs.  L’affection reste sous-jacente. La vie  comme un fleuve suit son cours mais a des méandres: chacun grandit, évolue différemment qu’il s’agisse des parents ou de l’enfant. Le grand-père peut enfin endosser son rôle. Le réveil du cœur. Un lien fort se noue à l’occasion du séjour du petit-fils Malo, à Lacanau chez son grand-père. C’est un échange mutuel fait de moments d’humanité dense et qui noue enfin une relation privilégiée.

L’évolution des sentiments  est écrite avec humour et talent dans des dialogues naturels et vivants.

Une phrase.

 «Tu réussis ou tu échoues, c’est égal, mais au moins tu en as le cœur net et de cela tu peux être fier, quoi qu’il advienne».

«Le réveil du cœur». François dEpenoux, éd. Anne Carrière, 253 pages.

« L’étoile et la vieille ». Michel Rostain.

Un metteur en scène de musique classique est chargé de réaliser un spectacle de variétés avec Odette, octogénaire et ancienne célèbre accordéoniste.

L’éblouissement de la première rencontre se ternit rapidement au cours des répétitions. Des séances d’autographes, de dédicaces, rythment les repas au restaurant.

La santé d’Odette se dégrade, l’étoile chavire. Le metteur en scène s’interroge, n’y croit plus. Par respect pour l’étoile, par humanité, il  devra sans cesse ajuster sa position.

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 Contrepoint pour violoncelles. 1984.

Arman (1928-2005). Collection Fondation pierre Gianadda. Martigny. Suisse

Commentaires

Le temps est assassin. La star adulée  vit sur sa renommée et le public des autographes est encore séduit par son aura. Au niveau artistique, c’est l’impasse. L’esprit de l’étoile est confus et la  musique embrouillée.

Derrière le portrait d’Odette, le lecteur devine immédiatement l’étoile, la stature d’Yvette Horner, ce qui évoqué par l’auteur dans ce roman qui n’a pas de vocation biographique.

L’histoire raconte la préparation d’un spectacle avec une artiste âgée, un monument de l’accordéon, avec ses travers. Odette parle d’elle à la troisième personne et en décalage avec la réalité. Elle tente de toutes ses forces de préparer ce concert comme si annuler allait la condamner. Pour un musicien,  arrêter son instrument (p.218) est déjà un drame, synonyme d’extinction de lumières.

Derrière l’aspect technique artistique, c’est surtout l’évolution d’une vieillesse non acceptée qui retiendra l’attention.  C’est une vieille dame qui ne veut pas raccrocher et qui masque ses défaillances pour rester dans le tempo.

On ne nous apprend pas à vieillir. Beaucoup d’octogénaires  dépassent l’âge de leurs parents et n’ont même pas connu de parents âgés. Sans expérience, ils découvrent un chemin ardu. Beaucoup encouragés par les discours jeunistes de notre société actuelle, comme  Odette vont alors ignorer et masquer longtemps les écueils de l’âge pour offrir une image performante. Odette « surjoue » alors son rôle. Toute son énergie est captée pour maintenir son apparence. Il n’y plus de place pour les autres. Odette impressionne encore au premier abord mais le metteur en scène se sent piégé: il gravite autour de l’étoile mais n’a pas plus de dialogue avec Odette.

Partition.jpgFini le temps de la valse musette.

C’est la valse triste de Sibelius qu’on entend.

Les tiers ou les membres des familles* se sentent dupés par ceux qui cachent jusqu’à l’absurde les signes ou défaillances de leur âge. Même s’ils mesurent  la  nouvelle fragilité bouleversante de cet être humain proche confronté à son déclin, les proches du senior+ deviennent rapidement excédés par son aveuglement, sa désinvolture, son indifférence aux autres, son art de feindre (fréquent en matière auditive), parfois même sa manipulation.

Car le fil d’un véritable dialogue se brise et souvent de manière irréversible. La vie quotidienne sur ces bases faussées est pénible pour tous. La scène d’Odette qui malmène le serveur (p.82) au restaurant est une situation inadmissible mais hélas fréquente.

Renoncer «à régner» (p.82) et moduler ses activités, changer de répertoire est souvent tout un apprentissage. Nous reviendrons plus tard sur ce point.

Ce roman ouvre une réflexion importante et me semble a contrario une excellente initiation à la préparation à la vieillesse.

L’auteur

Né en 1942 en Lozère  (France), Michel Rostain a étudié la musique puis enseigné la philosophie. En 1978, il fonde une compagnie de théâtre lyrique et musical et continue à réaliser des mises en scène musicales. Écrivain, il publie en 2011 son premier roman « Le Fils » et en 2013, « L’Étoile et la Vieille ».

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   Une phrase

 «Au  fil du tels et des évènements, le propos de mon livre n’aura pas été d’écrire le roman d’un spectacle mais d’écrire un roman d’initiation à ma vieillesse». 

«L’étoile et la vieille» Michel Rostain.  Editions Kero 2013, p.62

 

*Le cas inverse existe: des proches surestiment les capacités de leurs parents âgés ou malades et ne mesurent pas l’ampleur de leurs difficultés quotidiennes. Même si le senior en a fait clairement état, il faut parfois un certain temps pour que ses messages d’alerte soient entendus.

 

« Vieux, râleur et suicidaire: la vie selon Ove ». Fredrik Bakman

Dans le lotissement où il vit, Ove est connu pour son caractère entier et ronchon.

Ove a maintenant 59 ans et ses patrons lui demandent de prendre un peu de  repos. En fait, ils le virent. Quelques mois auparavant, Ove avait perdu sa femme Sonja, dont la gaieté, l’optimisme et le rire coloraient le quotidien.

Seul et sans travail, son humeur est morose. Ove s’occupe dans son quartier en effectuant des rondes civiques notamment en vérifiant la fermeture des portes des garages, le local des poubelles, la remise des vélos. Se sentant inutile et revenu de tout, il pense au suicide.

De nouveaux voisins fraîchement installés et envahissants parviennent à  faire sortir Ove de sa tanière. Bricoleur, il  ne pourra s’empêcher d’aider son prochain remettant sans cesse son suicide au lendemain…

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 Commentaires.

Vieux, râleur et suicidaire…

Ce titre donné à la version traduite n’est guère enthousiasmant.

 Ove vieux? A 59 ans, c’est un homme habile et courageux

Râleur?  Radin oui sans doute, car il a le sens pratique et le goût des chiffres

Suicidaire? Evidemment dans pareille situation, qui ne le serait pas ?

La vie de Ove n’a jamais été un long fleuve tranquille mais il a pu, en s’appuyant sur  ses talents, négocier tous les méandres.

Le livre baigne dans le grand souffle d’excentricité propre aux auteurs scandinaves. Comment ne pas penser au livre «Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire » mais nous ne voyageons pas dans la même folie débridée de Jonas Jonas.

Ici, le livre est très attachant, touchant. L’humour et  la sympathie rendent le personnage de ce bricoleur Ove très proche de nous : on croit au personnage.

Ce roman est aussi une habile confrontation dans la vie quotidienne, entre l’ancienne et la nouvelle génération : l’ancienne génération rabotée dans les entreprises, et peu au courant des nouvelles technologies et la génération Y confrontée aux difficultés  pratiques de la vie quotidienne mais forte des réseaux sociaux.

Cela m’a semblé un portrait très exact de la complexité et l’ennui  qu’éprouve un être à notre époque à se retrouver seul, à se repositionner face aux autres surtout après l’épreuve du deuil. 

L’auteur.

Né à Stockholm en 1981, Frederik Backman était devenu chauffeur de camion avant de se lancer dans l’écriture via des rubriques dans les journaux. En 2012, il écrit son premier roman «Un homme nommé Ove»  traduit chez nous par «Vieux, râleur et suicidaire – La vie selon Ove » Quelques mois après être devenu père, il intitule son deuxième roman «Des choses que mon fils a besoin de savoir sur le monde». Puis paraît son troisième roman « Min mormor hälsar och säger förlå »

  ove,bakman,saab,bricoleurSaab et Ove Ici berline Saab 9-3 (2006)

Créé en 1947, Saab, constructeur automobile national suédois est tombé en faillite en 2011. Saab avait lancé beaucoup d’innovations en équipant ses voitures de ceintures de sécurité en série, en proposant des sièges chauffants.

Il fut un pionnier du moteur turbo. 

 Il y a  toujours aujourd’hui de véritables fanatiques de la marque qui, comme Ove, lui vouent un culte.

La phrase.

 « A présent, on ne jure que par les ordinateurs et les machines à expresso.

 Où va donc le monde quand les gens ne savent plus écrire ni préparer le café ?«  

« Vieux, râleur et suicidaire: la vie selon Ove ». Fredrik Bakman . Chapitre 2

«Alice et l’homme-perle».Valérie Cohen.

Une résidence de standing Eaux Douces à Saint-Germain-en-Laye. Quelques femmes sexagénaires s’y côtoient chaque jour. Leur dénominateur commun: elles sont toutes sexagénaires, ont l’aisance financière, une santé harmonieuse, un tempérament façonné avec le temps. Toutes sont étouffées par la solitude et manquent de contact social. Alice reste confinée dans ses rêves, ses souvenirs d’ une aventure amoureuse passée avec Diego et son jardin de fleurs. Une excursion surprise est organisée par ses amies pour lui faire retrouver Diego à Séville. Alice se réveille. Un professeur de dessin, un juge vieux garçon et la directrice de la Résidence font partie du voyage.

Chaque participant va revisiter son passé. Le temps ne s’est donc pas arrêté… ni pour Alice ni pour eux?

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                      ….. des couleurs et des odeurs de cette andalousie (p.181).

L’auteur

Née à Bruxelles en 1968  Valérie Cohen a d’abord exercé la fonction de juriste d’entreprise avant de se tourner vers d’autres horizons et l’écriture. Elle est l’auteure de «Double vie d‘un papillon», «Nos mémoires apprivoisées» et « Alice et l’homme-perle » en 2014.

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«Cette douce histoire permet d’arpenter la plage de la soixantaine féminine avec ses illusions et désillusions» CD

Commentaire

Dans ce roman Valérie Cohen dessine une histoire sentimentale  charmante entre sexagénaires bien-portants. Inutile de dire qu’il serait bien difficile de trouver dans la réalité des habitants de résidence aussi dynamiques et unis. De nombreux passages graves montrent que «la joie sereine» des pensionnaires n’est pas une comédie mais un rite de survie. La description de ce que représente la fête des mères pour une sexagénaire Juliette touchera, j’en suis certaine, de nombreuses mamans.

L’âge n’éteint ni les sentiments amoureux ni les émois: aimer reste parfois douloureux.

Un  jour, Juliette, amie d’Alice a l’idée de classer les hommes en deux profils: l’homme-bonbon et l’homme-perle. L’homme-perle laisse une trace indélébile. Certains lecteurs trouveront sans doute qu’un autre homme-perle s’est peut-être échappé du roman: Arthur, mari d’Alice est bien dilué dans les souvenirs de sa femme. N’était-il pas lui aussi une perle pour avoir permis à Alice de vivre son histoire et sauvegarder sa famille? 

Mais les souvenirs comme les élans du cœur ne sont guère équitables…

Cette histoire idyllique tranche par son optimisme sur d’autres romans bien plus moroses. La vie n’est pas suspendue à 60 ans. Ce roman permet d’arpenter la plage de sable de la soixantaine féminine avec ses illusions et désillusions. 

Un passage

«Tous ont affronté les versants glissants de la vie et choisi de se relever ou pas.

Ils portent de ces blessures invisibles qui ne se soignent pas à coup d’antalgiques». p.104

Alice et l’homme-perle. Valérie Cohen, Éditeur: Luce Wilquin – Parution : Janvier 2014 – 190 pages.

«Les amazones» Raphaëlle Riol.

Lors d’une visite à sa grand-mère dans une maison de retraite à Caen, Alice quittera le « Repos-Fleuri » accompagnée d’une autre pensionnaire qui l’a interpellée:

 « Je m’appelle Alphonsine. Sortez-moi de là ».

Alice, la trentaine, qui travaille dans l’événementiel et Alphonsine, 89 ans, se découvrent de nombreux points communs. Chacune a un souvenir déplorable de sa vie de couple et est satisfaite que son compagnon soit décédé. Elles détestent aussi la campagne.

Marquées par leur histoire personnelle et assoiffées d’indépendance, elles transgressent les contraintes sociales comme des guerrières ou des amazones. Mais quelles alternatives ont-elles réellement?

En quête d’un autre destin, elles rejoignent la plage pour crier …

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« Au loin, la mer se dérobe toujours plus et déteint doucement.    

… Bleu-gris, gris-bleu, gris foncé » page 200

L’auteur.

Née en 1980 à Clermont-Ferrand, Raphaëlle Riol est professeur de lettres en région parisienne et a publié en 2011 un premier roman « Comme elle vient ».

Commentaire.

L’intelligente analyse psychologique d’un duo inattendu capte l’attention. Le ton ironique de ce livre m’a beaucoup plu. La trame du roman montre l’évolution de la place des femmes dans la  cellule familiale et dans notre société.  

Malgré les obligations familiales, nous sommes parfois tous un peu, comme Alice ou Alphonsine, des électrons libres. Simplement, certains le sont à temps complet et d’autres à temps partiel !

  • Le sens de la formule de l’écrivaine (« Extinction de voix ou voie d’extinction ? » p.11) égaie les pages qui abordent un sujet grave. Ces malices stylistiques s’accordent à l’état d’esprit des deux rebelles, qui n’ont plus rien à perdre dans une société cruelle:

«Vous savez Alice, de nos jours, ne pas être hors la loi, c’est perdre la tête… Que ce soit au travail, chez soi, ou en maison de vieux».p.189.

  • Deux femmes, deux destins vont se mêler. Derrière les apparences simples de chacune, est enfoui leur monde intérieur complexe. Petit à petit, l’écrivaine fouille leur psychologie, déterre et dévoile au lecteur complice leur vérité singulière, celle qui a « perforé » leur corps et « vrillé » leur esprit. Pour l’une et l’autre, cette vérité n’est pas connue ou admise par les proches ou enfants : ceux-ci n’ont pas envie de savoir et restent prisonniers de leurs convictions. L’«épais tissu d’évidences fragiles» p. 200 est difficile à déchirer. Même à sa comparse Alice, Alphonsine n’a plus envie d’expliquer l’incroyable injustice de son sort.

Une pensionnaire de home dans une situation similaire me disait récemment: «Oui, je pourrais expliquer ce qui s’est passé; mais il arrive, qu’après avoir trop souffert, le coeur se clôt, les mâchoires se serrent, la voix  diminue…». 

  • Un grand écart d’âge sépare Alice et Alphonsine. Pourtant elles sont confrontées  toutes deux à l’éternelle domination masculine. La difficile question de la place de la femme, toujours d’actualité, notamment dans le cadre professionnel, est bien cernée.

Une phrase

 « Parce que le comble de l’impardonnable, Alice, croyez-moi, c’est la résignation». p.126

 Amazones, Raphaëlle Riol, coll. La brune. Editions du Rouergue 2013, 208 pages

« Ma robe n’est pas froissée ». Corinne Hoex

Son père est mort. Dans sa chambre de pensionnaire de la Séniorie des Dunes, son épouse exerce son despotisme. La narratrice, leur fille, regarde les voiliers qui glissent en silence sur la mer.

Autour des années soixante, entre la Mer du Nord et Bruxelles, cette mère formait avec son mari un couple bourgeois  sauvant les apparences et ignorant leur fille. Le père amoureux de voile lui faisait des remontrances continuelles et sa mère la méprisait, ne lui offrant pas un regard. Dans l’indifférence, la fille est violée par son fiancé.

Avec un faux détachement, cette fille-narratrice tente d’exister malgré ces comportements toxiques, répétitifs qui l’ont brisée tout. Elle n’a plus confiance dans la vie. Que peut-t-elle encore espérer d’une telle mère âgée ?

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L’auteur

Née en 1946, Corinne Hoex est licenciée en histoire de l’art.  Depuis 2001, elle a publié de nombreux ouvrages, des romans et de la poésie. En 2008, paraît le roman  « Ma Robe n’est pas froissée » et en 2010 le roman «Décidément je t’assassine»  qui a obtenu le Prix Marcel Thiry.

Sur la vieillesse

Les intervenants, les professionnels des maisons de repos découvrent la personnalité du résident au moment précis de son entrée. Le pensionnaire peut présenter un autre visage dû à sa vulnérabilité, une image lissée comme un beau meuble rempli de souvenirs. La famille connaît les blessures ou aspérités de la personnalité  antérieure, bâtie sur les interactions avec les proches et la société. Le personnel des homes est conscient que quelques résidents ont, par leur comportement passé, éloigné leur famille ou ont conduit des enfants à prendre parfois très légitimement assez de distance pour construire leur vie.

hardelot 2014 136.JPGPour la narratrice, l’abandon où elle a été plongée était cruel. Mais il s’agit d’une fille unique, donc elle assume encore les visites à sa mère dans le home: « Je m’acquitte de mes réparties avec une conviction manifeste, un dévouement exemplaire »  (p. 50)

Le récit de la maltraitance, de ce manque primordial d’amour  parental est glaçant d’autant que tout est noyé dans le silence. La conséquence pathétique du comportement parental déshumanisé est que la narratrice n’a pas pu se construire, qu’elle n’a pas d’existence  réelle et qu’elle est toujours en quête d’attention maternelle malgré les humiliations constantes que lui inflige encore la vieille dame.

La description des faits est quasi clinique: des phrases courtes et un vocabulaire très précis. Ce récit court est poignant.

Un passage

«Chaque semaine quand je lui rends visite, mon irruption dans sa chambre insulte sa liberté. Lorsque selon l’usage, je me penche vers elle pour l’embrasser, ses épaules se dressent, sa nuque se raidit, ses lèvres se rétractent, tout son corps se soustrait au venin de mon baiser»  (p. 75)

Ma robe n’est pas froissée. Corinne Hoex. Editions : Les impressions nouvelles

«La route des coquelicots» Biefnot-Dannemark.

 « La route des coquelicots » a poursuivi son escapade à Mons, est passée par le musée du Doudou.

Là, sur un banc de pierre du jardin du Mayeur, ce roman nous a livré ses derniers secrets.

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Trois femmes octogénaires, bien valides et autonomes  vivent dans une maison  de retraite du Nord-Pas-de-Calais, « La Moisson ». Il y a Lydie, compréhensive et généreuse qui n’a jamais eu d’enfant. Henriette, qui aime les fleurs dont les coquelicots, a vécu en Belgique.  Devenue veuve, elle est venue à Douai pour se rapprocher de son fils. Régulièrement, elle se chamaille avec une autre résidente, Flora qui a mené une vie luxueuse.

Toutes manquent de contact social et se réchauffent au sourire d’une jeune travailleuse ukrainienne de la maison de retraite Olena, 27 ans. Olena, dont le mari, Vassili travaille au Portugal,a dû laisser en Ukraine auprès de sa mère, leur fille Milena, 6 ans.

A la suite d’un épisode sentimental entre leurs petits-enfants respectifs, les deux ennemies Flora et Henriette décident de partir au Portugal régler le problème et embarquent Olena dans l’aventure. En passant par la frontière polonaise, Nuremberg, Sète et Madrid, les trois vieilles dames, Olena et sa fille atteindront enfin Lisbonne…

Les auteurs

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La route des coquelicots est le premier roman écrit à quatre mains présenté ici. Il est écrit par deux auteurs belges Véronique Biefnot et Francis Dannemark.

Née à Colfontaine en 1961, Véronique Biefnot, actrice, présentatrice de télévision, metteur-en-scène est aussi romancière et auteure d’une trilogie : « Comme des larmes sous la pluie, Les murmures de la terre, Là où la lumière se pose ».

Francis Dannemark, né en 1955 est éditeur et responsable  à Bruxelles du programme « Escales des Lettres ».  Il a publié une bonne vingtaine de romans dont « Mémoires d’un ange maladroit »  et « Histoire d’Alice, qui ne pensait jamais à rien ». Il est aussi poète: »Une fraction d’éternité « .

 Sur la vieillesse

La flamboyance du superbe coquelicot de la couverture du roman capte le regard.

Ce coquelicot symbolise-t-il la fleur du souvenir comme les coquelicots séchés dans le missel de Henriette (p.50) ou l’ardeur fragile et la consolation comme l’exprimerait le langage des fleurs (p.76) ?

C’est ce dernier aspect d’ardeur fragile qui traduit le mieux l’élan vital qui pousse ces femmes, malgré leur âge, à entreprendre cette incroyable tour d’Europe.

La maison de retraite n’incarne pas tout à fait nos établissements actuels mais plutôt une agréable pension de famille.

Les protagonistes avec leurs personnalités affirmées par le temps restent sympathiques. Trop? Ils ne semblent pas vraiment connaître les soucis de leur âge.

D’autres observations sont particulièrement pertinentes:

  • Le personnel des maisons de retraite est l’entourage même des pensionnaires et participe à l’épanouissement des résidents. Olena est une vraie travailleuse sociale qui a toujours le sourire et qui apporte aux pensionnaires un réel réconfort.
  •  Rien ne permet d’imaginer qui seront nos futurs compagnons de vie dans une éventuelle maison de retraite. A priori, aucune des dames de « La route des coquelicots » ne devait se croiser (p. 244). Un résident d’une maison de repos bruxelloise me disait: « Vous ne retrouvez pas nécessairement ici des personnes compatibles ou qui ont les mêmes centres d’intérêt que vous« .
  •  Au fil du temps s’accentue la dichotomie entre l’âge ressenti par la personne et celui indiqué par l’état civil (p. 243).
  • Même si des souvenirs pénibles hantent les jours des résidents, en communauté, ils tournent la page et embellissent souvent leur passé comme le fait Flora. Aucun n’est dupe.

D’autres thèmes plus graves traversent le roman comme  la difficulté d’exister aux yeux des autres quand on ne travaille plus (Théo) ou  l’exil bien évalué et décrit dans sa complexité, sans misérabilisme. On découvre ainsi en Flora, une ancienne exilée.

Quand la majorité des  romans concernant le troisième âge tombe dans la sinistrose, ce roman idyllique envoie un message tonique :

On peut toujours évoluer, voyager, connaître l’amitié, retrouver l’affection, ou s’installer ailleurs où on se sent mieux…pour peu qu’on soit autonome !

Un passage

« Personne en cet instant n’aurait imaginé que ces trois vieilles dames avaient passé toute leur vie aux antipodes les unes des autres, sur des chemins que rien a priori n’appelait à se croiser ».

p 244. La route des coquelicots. Éditeur : Le Castor Astral (2015)

« Série grise » de Claire Huynen.

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 …lui laisser les jumelles

Après avoir méticuleusement réglé tous ses soucis matériels, un septuagénaire décide d’être vieux et espère que mort s’en suivra. Il rejoint  une « maison de repos pour adultes valides » Mathusalem et y devient observateur acariâtre de sa sénescence et de la maison de retraite.
Cet intellectuel cynique  pense en effet que la vieillesse peut se regarder comme un sujet d’étude.
A Mathusalem, il rencontrer un autre  pensionnaire rebelle, Baptiste Lepisme, qui va le guider dans son exploration du domaine de la maison de repos, lui montrer l’envers des rouages et les travers des occupants.

Le narrateur et Baptiste lient certes des liens de compagnonnage mais pas une amitié véritable: ils vivent ensemble ces instants  d’observation des maniaqueries des autres, de transgression et de jubilation. Petit à petit, l’un et l’autre se désolidarisent des autres pensionnaires et tentent des expéditions peu innocentes.

Mais même à son semblant d’ami, Baptiste n’a pas dit la vérité, trop fier…
Le narrateur comprend que la vieillesse le concerne bel et bien.

L’auteur

Née en 1970 à Liège, Claire Huynen vit à Paris. Elle a publié « Marie et le vin » (1998) et « Une rencontre » en 2000. « Série grise » est son troisième roman paru en 2011.

 

home,senior,jumelle,déménagementSur la vieillesse… et les maisons de retraite

Il semble que Claire Huynen rêvait d’être une vieille dame indigne. Elle a déjà réussi à habiller avec humour un vieil homme indigne.

Ce qui me frappe surtout, c’est la lucidité de l’analyse.

En détaillant le quotidien d’une maison de retraite, l’auteur met en évidence des aspects majeurs, très dérangeants pour beaucoup de pensionnaires.

 

  •  Même si le cadre décrit est charmant style Clinique de la Forêt Noire, une maison de retraite oblige à mener une vie communautaire avec des partenaires non choisis. Il est difficile de nouer une amitié. Quand c’est possible, certains hésitent même à s’engager dans cette voie tant la déception est rude en cas de décès. Une vie de groupe avec des personnalités très différentes entraîne beaucoup d’écueils comme le décrit « Série Grise ». En maison de retraite, on est toujours observé par quelqu’un. Que l’on soit résident, membre du personnel ou visiteur. La vie des autres devient vite un sujet d’analyse, de conversation, une pâture, sans que soient mesurées parfois les conséquences dramatiques pour la personne visée si aucune sourdine ou régulation n’est mise en place par la direction. Difficile défi pour le résident invité à socialiser, à participer à la vie de groupe que de tenter de conserver en même temps son territoire, un projet personnel ou sa sexualité.

Témoignages recueillis personnellement auprès de résidents bruxellois:

« Formons-nous une communauté ? Non ! » Madame P. 

« Les relations sont un peu factices dans un home…il y a la sélection naturelle: beaucoup sont déjà éliminés et vous ne retrouvez pas nécessairement des personnes compatibles ou qui ont les mêmes centres d’intérêt » Monsieur C.

  • Le narrateur se définit non pas comme un résident mais comme un client qui s’assure une main d’œuvre. C’est un état d’esprit très fréquent actuellement chez des pensionnaires notamment dans les résidences luxueuses qui elles-mêmes commercialisent les rapports de dépendance. Cela génère en retour des comportements despotiques difficilement supportables par le personnel.

Témoignages de résidents bruxellois :

 « Ici, je ne suis pas une résidente mais une cliente » Madame M.

« J’ai commencé à travailler jeune et je paie assez ici: on peut bien me servir maintenant » Monsieur D.

  • Le narrateur choisit, de son plein gré, de quitter Mathusalem. Des pensionnaires encore valides quittent leur maison de repos et déménagent ailleurs pour d’autres structures: c’est là aussi une nouvelle donne des maisons de  retraite. Les seniors, s’ils en ont la possibilité, comparent les offres commerciales des diverses formules.  C’était d’ailleurs la démarche effectuée par Christie Ravenne pour sortir de son Gagatorium. 

Le vocabulaire de « Série Grise » est très recherché, parfois affecté.

On devine que Claire Huynen a la fibre lexicologique et une délectation à trouver le  « mot juste », même s’il est  rare, peu usité ou précieux.

Une phrase

« Il n’y avait guère plus qu’avec moi-même que je pouvais m’entendre ».

« Série grise ». Claire Huynen, Format : Format Kindle, Editeur : Le Cherche Midi (22 mars 2012)

« Aujourd’hui, maman est morte ». Charles Berling.

Charles Berling raconte la vie de sa mère, Nadia, professeur d’anglais épouse de Christian, ancien officier militaire médecin. Nadia intima à leurs six enfants d’être gais en toutes circonstances mais les corrigeait fréquemment. Dans un manuscrit « Le Négatif » qu’elle a écrit et offert  quinze ans auparavant à chacun de ses six enfants, Nadia évoque son enfance marocaine. Née d’un père garagiste irascible et infidèle et d’une mère opprimée et en révolte, Nadia, enfant unique, a révélé à ses enfants quelques secrets de cette période déchirante pour elle au Maroc, à Meknès. Une scène douloureuse lors du Festival d’Avignon montre qu’à la fin de sa vie, la folie gagne Nadia: celle-ci, en colère, est venue haranguer publiquement son fils, acteur.

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 «  Nous volons toujours au-dessus de la méditerranée » page 164

L’auteur

Né en France en 1958, Charles Berling est acteur, metteur en scène, réalisateur, scénariste, producteur et chanteur. Avec Sophie Blandinières, il publie chez Flammarion en 2011 « Aujourd’hui, maman est morte » qui a obtenu le prix Jean-Jacques-Rousseau en 2012.

Commentaire

Aujourd’hui maman est morte est une des phrases les plus célèbres de la littérature française,  la première phrase du roman l’Etranger  écrit par Albert Camus en 1942.

livre Berling b.jpgDifficile de revenir sur le passé. C’est la vision d’un des enfants du couple, Charles Berling, qui n’a  jamais accepté l’image de sa mère, de  cette femme en morceaux. A son décès, il tente de reconstituer les pièces du puzzle de son histoire. Avec son regard d’acteur très présent, il compose ce récit où il fait revivre sa mère. Le prisme des pensées de Charles Berling donne l’orientation au contenu du livre: « sa mère a  eu un destin contrarié car elle voulait privilégier l’ascension sociale».

« Un enfant n’a jamais les parents dont il rêve… » dit Boris Cyrulnik. Le lecteur sent dans le style, un poignant détachement et les distances qui se sont installés dans cette grande famille. Il y a un sentiment d’inachevé, de rendez-vous manqué. La question qu’on se pose est: qui a refusé le dialogue? La porte de la communication avec ses enfants semble avoir été entrouverte plusieurs fois par Nadia qui leur avait transmis le livre de ses soixante ans « Le négatif » (page 61). Son fils, Charles Berling a mis un certain temps à le lire et lui avait conseillé de le retravailler… Au théâtre, l’irruption bruyante de sa mère dans son spectacle était sans doute un autre appel.

C’est le même phénomène qui se passe dans nos familles: nous ratons trop d’occasions de dialoguer, de renouer avec le fil des générations qui nous ont précédés. Nous sommes en décalage et n’accomplissons pas tous en même temps la recherche de ce tissu familial. Est-il possible parfois d’ajuster un peu nos pas avec ceux de nos parents ?

Les pages qui relatent le climat des disputes du vieux couple de Nadia et de son mari et la réaction de leurs enfants sont un excellent témoignage d’une réalité  bien souvent cachée aux tiers.

Les conflits sont devenues si âpres que les enfants sont amenés à prendre position protéger leur père en difficulté: « nous allons lui annoncer que nous n’allons pas lui laisser le loisir de mettre à mort son mari… » page 151. La fratrie se réunit et se déplace. Ces enfants adultes ne sont plus à leur place car ils tentent de réguler le conflit d’un couple. C’est dramatique. Les enfants vivent une double contrainte: sauver leur père en blessant l’amour-propre de leur mère ou ne rien faire avec le risque que leur père soit anéanti. En agissant, ils amenuisent par ce fait toute chance réelle de communication avec chacun des parents : « elle est désemparée; elle fond en larmes… ». « …il ne dit rien » page 152.

Ce qui compte pour les enfants qui traversent comme des éponges l’histoire de leurs parents, c’est qu’à la fin de vie une balance s’établisse entre le négatif et le positif et que le positif l’emporte! Ou le pardon. Nadia leur avait donné « Le négatif » et n’a pas su inverser la courbe positivement.

Une phrase

« Ils sont épuisés. Elle a l’air tendu d’un animal aux abois. Lui est assis à ses côtés sans faire de bruit, de son petit air gentil ; il s’absente comme il peut »

Aujourd’hui, maman est morte. Charles Berling,  Collection J’ai Lu. Page 150.

« Les grands-mères » Doris Lessing.

Theresa, serveuse d’un restaurant au bord de mer, observent deux habituées, les jolies grand-mères Roz et Lil  qui lézardent au soleil à la terrasse de l’établissement. Elles sont accompagnées de leurs fils, Tom et Ian, et de leurs petites-filles Shirley et Alice.

Mais où  donc sont les mères de ces petites filles, Mary et Hannah ?

Mary, épouse de Ian, surgit en colère  sur la terrasse et déboule avec un paquet de lettres. Tous les non-dits apparaissent alors.

Doris Lessing signe avec « Les grand-mères » un roman sulfureux sur la dissimulation et la douleur des tiers jouets d’une manipulation.

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 « Des larmes ruisselaient sous ses lunettes noires » Page 83

L’auteur

Écrivain britannique (née en 1919) Doris May Lessing, lauréate du prix Nobel 2007 de littérature, est décédée en 2013, à l’âge de 94 ans.

Ce fut une femme de lettres engagée: l’Afrique, le colonialisme et la cause féministe sont les trois grands thèmes de son œuvre: Les Enfants de la violence, Canopus dans Argo, Nouvelles africaines… C’est avec Le Carnet d’or que l’écrivain devient malgré elle une porte-parole du féminisme.

En 2003, l’octogénaire publie ce court roman (94 pages) « Les grands-mères ». L’intrigue est particulièrement incorrecte. L’histoire choque tout le monde sauf son auteur. «Une aventure qui n’est pas autobiographique, cette fois, mais je le regrette…», avait déclaré Doris Lessing lors de la publication de ce livre.                                                    

 Les grand-mères

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Est-ce que Doris Lessing fait ici un portrait de grands-mères «  nouvelle génération » avant l’heure? Non, rien de cela.

Est-ce que c’est un portrait de «cougars»? Non, les femmes décrites ont la quarantaine mais ne sont pas des chasseresses repérant de jeunes proies masculines.

Doris Lessing dépeint certes des femmes libres, mais aussi des êtres égoïstes et amoraux. Depuis toujours, Roz et Lil ont eu une vie très facile et sont restées inséparables au point que leurs mariages en ont pâti et qu’elles ont écarté tous les enquiquineurs. Leurs maris ont été blessés par leur mode de vie. Et leurs enfants de même.

Tout est déséquilibre dans ce roman à la limite de l’amoralité, dans un schéma dramatique de transfert du complexe d’œdipe et de quasi inceste. Bien plus que  ces faits scabreux, Liz et Roz dérangent par leur absence totale de réflexion et d’empathie. Si un petit sursaut  non pas de morale mais de convenance morale tend à se profiler, elles le balaient par intérêt : « C’est une bonne chose, tu ne vois pas ? » page 59.

Doris Lessing ne donne aucune explication à cette déliquescence et laisse le lecteur  dans le flou: c’était sans doute bien l’effet escompté par l’écrivaine. Le titre du roman masque et dissimule totalement le sujet du roman.

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Sur base de ce roman, Anne Fontaine a réalisé en 2013  le film Perfect Mothers, film franco-australien avec Naomi Wats et Robin Wright.