Un metteur en scène de musique classique est chargé de réaliser un spectacle de variétés avec Odette, octogénaire et ancienne célèbre accordéoniste.
L’éblouissement de la première rencontre se ternit rapidement au cours des répétitions. Des séances d’autographes, de dédicaces, rythment les repas au restaurant.
La santé d’Odette se dégrade, l’étoile chavire. Le metteur en scène s’interroge, n’y croit plus. Par respect pour l’étoile, par humanité, il devra sans cesse ajuster sa position.
Contrepoint pour violoncelles. 1984.
Arman (1928-2005). Collection Fondation pierre Gianadda. Martigny. Suisse
Commentaires
Le temps est assassin. La star adulée vit sur sa renommée et le public des autographes est encore séduit par son aura. Au niveau artistique, c’est l’impasse. L’esprit de l’étoile est confus et la musique embrouillée.
Derrière le portrait d’Odette, le lecteur devine immédiatement l’étoile, la stature d’Yvette Horner, ce qui évoqué par l’auteur dans ce roman qui n’a pas de vocation biographique.
L’histoire raconte la préparation d’un spectacle avec une artiste âgée, un monument de l’accordéon, avec ses travers. Odette parle d’elle à la troisième personne et en décalage avec la réalité. Elle tente de toutes ses forces de préparer ce concert comme si annuler allait la condamner. Pour un musicien, arrêter son instrument (p.218) est déjà un drame, synonyme d’extinction de lumières.
Derrière l’aspect technique artistique, c’est surtout l’évolution d’une vieillesse non acceptée qui retiendra l’attention. C’est une vieille dame qui ne veut pas raccrocher et qui masque ses défaillances pour rester dans le tempo.
On ne nous apprend pas à vieillir. Beaucoup d’octogénaires dépassent l’âge de leurs parents et n’ont même pas connu de parents âgés. Sans expérience, ils découvrent un chemin ardu. Beaucoup encouragés par les discours jeunistes de notre société actuelle, comme Odette vont alors ignorer et masquer longtemps les écueils de l’âge pour offrir une image performante. Odette « surjoue » alors son rôle. Toute son énergie est captée pour maintenir son apparence. Il n’y plus de place pour les autres. Odette impressionne encore au premier abord mais le metteur en scène se sent piégé: il gravite autour de l’étoile mais n’a pas plus de dialogue avec Odette.
Fini le temps de la valse musette.
C’est la valse triste de Sibelius qu’on entend.
Les tiers ou les membres des familles* se sentent dupés par ceux qui cachent jusqu’à l’absurde les signes ou défaillances de leur âge. Même s’ils mesurent la nouvelle fragilité bouleversante de cet être humain proche confronté à son déclin, les proches du senior+ deviennent rapidement excédés par son aveuglement, sa désinvolture, son indifférence aux autres, son art de feindre (fréquent en matière auditive), parfois même sa manipulation.
Car le fil d’un véritable dialogue se brise et souvent de manière irréversible. La vie quotidienne sur ces bases faussées est pénible pour tous. La scène d’Odette qui malmène le serveur (p.82) au restaurant est une situation inadmissible mais hélas fréquente.
Renoncer «à régner» (p.82) et moduler ses activités, changer de répertoire est souvent tout un apprentissage. Nous reviendrons plus tard sur ce point.
Ce roman ouvre une réflexion importante et me semble a contrario une excellente initiation à la préparation à la vieillesse.
L’auteur
Né en 1942 en Lozère (France), Michel Rostain a étudié la musique puis enseigné la philosophie. En 1978, il fonde une compagnie de théâtre lyrique et musical et continue à réaliser des mises en scène musicales. Écrivain, il publie en 2011 son premier roman « Le Fils » et en 2013, « L’Étoile et la Vieille ».
Une phrase
«Au fil du tels et des évènements, le propos de mon livre n’aura pas été d’écrire le roman d’un spectacle mais d’écrire un roman d’initiation à ma vieillesse».
«L’étoile et la vieille» Michel Rostain. Editions Kero 2013, p.62
*Le cas inverse existe: des proches surestiment les capacités de leurs parents âgés ou malades et ne mesurent pas l’ampleur de leurs difficultés quotidiennes. Même si le senior en a fait clairement état, il faut parfois un certain temps pour que ses messages d’alerte soient entendus.