« Aujourd’hui, maman est morte ». Charles Berling.

Charles Berling raconte la vie de sa mère, Nadia, professeur d’anglais épouse de Christian, ancien officier militaire médecin. Nadia intima à leurs six enfants d’être gais en toutes circonstances mais les corrigeait fréquemment. Dans un manuscrit « Le Négatif » qu’elle a écrit et offert  quinze ans auparavant à chacun de ses six enfants, Nadia évoque son enfance marocaine. Née d’un père garagiste irascible et infidèle et d’une mère opprimée et en révolte, Nadia, enfant unique, a révélé à ses enfants quelques secrets de cette période déchirante pour elle au Maroc, à Meknès. Une scène douloureuse lors du Festival d’Avignon montre qu’à la fin de sa vie, la folie gagne Nadia: celle-ci, en colère, est venue haranguer publiquement son fils, acteur.

 lanzarote mai 2013 678.JPG

 «  Nous volons toujours au-dessus de la méditerranée » page 164

L’auteur

Né en France en 1958, Charles Berling est acteur, metteur en scène, réalisateur, scénariste, producteur et chanteur. Avec Sophie Blandinières, il publie chez Flammarion en 2011 « Aujourd’hui, maman est morte » qui a obtenu le prix Jean-Jacques-Rousseau en 2012.

Commentaire

Aujourd’hui maman est morte est une des phrases les plus célèbres de la littérature française,  la première phrase du roman l’Etranger  écrit par Albert Camus en 1942.

livre Berling b.jpgDifficile de revenir sur le passé. C’est la vision d’un des enfants du couple, Charles Berling, qui n’a  jamais accepté l’image de sa mère, de  cette femme en morceaux. A son décès, il tente de reconstituer les pièces du puzzle de son histoire. Avec son regard d’acteur très présent, il compose ce récit où il fait revivre sa mère. Le prisme des pensées de Charles Berling donne l’orientation au contenu du livre: « sa mère a  eu un destin contrarié car elle voulait privilégier l’ascension sociale».

« Un enfant n’a jamais les parents dont il rêve… » dit Boris Cyrulnik. Le lecteur sent dans le style, un poignant détachement et les distances qui se sont installés dans cette grande famille. Il y a un sentiment d’inachevé, de rendez-vous manqué. La question qu’on se pose est: qui a refusé le dialogue? La porte de la communication avec ses enfants semble avoir été entrouverte plusieurs fois par Nadia qui leur avait transmis le livre de ses soixante ans « Le négatif » (page 61). Son fils, Charles Berling a mis un certain temps à le lire et lui avait conseillé de le retravailler… Au théâtre, l’irruption bruyante de sa mère dans son spectacle était sans doute un autre appel.

C’est le même phénomène qui se passe dans nos familles: nous ratons trop d’occasions de dialoguer, de renouer avec le fil des générations qui nous ont précédés. Nous sommes en décalage et n’accomplissons pas tous en même temps la recherche de ce tissu familial. Est-il possible parfois d’ajuster un peu nos pas avec ceux de nos parents ?

Les pages qui relatent le climat des disputes du vieux couple de Nadia et de son mari et la réaction de leurs enfants sont un excellent témoignage d’une réalité  bien souvent cachée aux tiers.

Les conflits sont devenues si âpres que les enfants sont amenés à prendre position protéger leur père en difficulté: « nous allons lui annoncer que nous n’allons pas lui laisser le loisir de mettre à mort son mari… » page 151. La fratrie se réunit et se déplace. Ces enfants adultes ne sont plus à leur place car ils tentent de réguler le conflit d’un couple. C’est dramatique. Les enfants vivent une double contrainte: sauver leur père en blessant l’amour-propre de leur mère ou ne rien faire avec le risque que leur père soit anéanti. En agissant, ils amenuisent par ce fait toute chance réelle de communication avec chacun des parents : « elle est désemparée; elle fond en larmes… ». « …il ne dit rien » page 152.

Ce qui compte pour les enfants qui traversent comme des éponges l’histoire de leurs parents, c’est qu’à la fin de vie une balance s’établisse entre le négatif et le positif et que le positif l’emporte! Ou le pardon. Nadia leur avait donné « Le négatif » et n’a pas su inverser la courbe positivement.

Une phrase

« Ils sont épuisés. Elle a l’air tendu d’un animal aux abois. Lui est assis à ses côtés sans faire de bruit, de son petit air gentil ; il s’absente comme il peut »

Aujourd’hui, maman est morte. Charles Berling,  Collection J’ai Lu. Page 150.