La renouée des teinturiers utilisée par Betty De Paris
Comme convenu, nous revenons parler plus longuement avec Betty de Paris. Je la rencontre à la Villa Empain où elle expose actuellement ses créations dans le cadre de l’exposition «La route bleue».
Betty de Paris est artiste et experte en teintures végétales.
Dans les années 80 à Paris, une exposition sur l’art japonais pique sa curiosité. Son apprentissage du Japon commence à l’Université à Paris, ce qui lui donne le bagage indispensable pour étudier et travailler au Japon. «J’ai été initiée aux techniques d’impression au pochoir (katazome) et dès le début j’ai fait le choix des colorants naturels car ils étaient disponibles et largement utilisés même dans le prêt à porter à cette époque à Kyoto et correspondait à mon éthique de respect de la nature et des personnes. L’indigo est arrivé naturellement quand j’ai eu besoin de la couleur bleue et là je me suis tournée vers les spécialistes de cette couleur. J’ai pensé étudier cela en France et je me suis rendue à l’évidence que plus personne n’était capable de « monter cette cuve de bleue » naturelle. La préparation de la cuve de bleue est très particulière, demande des compétences étendues ».
L’artiste insiste sur l’aspect écologique de sa démarche.
Le plus gros secteur de l’industrie textile est le jean emblème de notre société de consommation.
Il y a quelques mois, nous avons été sensibilisés par la situation des ouvriers turcs atteints de la silicose, maladie pulmonaire incurable provoquée par la méthode du ponçage de fabrication des jeans délavés ou usés.
Un jean sur trois vendus dans le monde provient de Chine principalement de la province de Guangdong. Xintang, la ville du jean, compte plusieurs milliers d’entreprises qui sont l’un ou l’autre maillon de la fabrication du jean. Il y aurait plus de 1 000 marques différentes. Si nous savons que cette part de marché provient de prix compétitifs dus à des conditions de travail et de salaires moins favorables, un autre aspect s’y ajoute. Dans certaines régions de Chine ou d’Inde, d’autres conséquences très graves pour la santé des ouvriers ou des populations sont provoquées soit directement par les manipulations du jean soit par l’impact environnemental négatif de cette fabrication textile.
C’est un colorant indigo synthétique, fabriqué en Allemagne qui donne sa couleur au jean. Ce colorant et d’autres produits chimiques associés se retrouvent directement rejetés dans les rivières créant une vaste pollution comme le décrit un reportage sur cette vallée du jean (Arte-Globalmag).
« Les procédés de teinture, lavage, blanchiment et impression sont quelques-uns des plus sales de l’industrie textile, nécessitant de grands volumes d’eau ainsi que des métaux lourds et autres produits chimiques », explique Mariah Zhao, chargée de campagne produits toxiques pour Greenpeace. Les eaux usées sont rejetées dans la rivière de Xintang
Certains efforts pour limiter cette nuisance environnementale ont été faits. Endiguer la pollution n’est pas simple d’autant que sont concernées des milliers de petites entreprises familiales et que la crise économique est là aussi présente et limite l’écoulement des jeans dans marché intérieur.
Une technique naturelle de teinture végétale indigo.
Suivant les spécialistes, les plantes « indigofères » seraient jusqu’à 300 mais une dizaine de ces plantes sont exploitées dans le monde. Betty de Paris présente celles utilisées en Europe : le pastel, le pigment d’indigotier indien qui historiquement a été le premier apporté en Europe et enfin la plante qu’elle utilise qui lui vient du Japon, la renouée des teinturiers.
– le pastel ou la guède est une plante herbacée annuelle, à fleurs jaunes qui fut très longtemps cultivée en Europe et en France pour la production d’une teinture bleue extraite des feuilles. La culture du pastel, sa fabrication sont à nouveau remis en valeur.
– l’indigotier des Indes est un arbuste avec une floraison rose poussant dans les régions tropicales. Ses feuilles contiennent un principe colorant bleu pourpré.
Pastel
– la renouée des teinturiers ou Persicaire à indigo est une plante annuelle à fleurs roses, originaire d’Asie qui fut introduite au Japon dès le 4ème siècle. Les feuilles fournissent l’une des principales sources de bleu en teinture. Cette plante très vigoureuse est classée parmi les espèces invasives qui menacent la flore indigène. (A ne pas planter innocemment dans son jardin donc!)
C’est à partir de la renouée des teinturiers que Betty de Paris obtient la coloration indigo de pièces de tissus. Travaillant des tissus naturels comme le lin, le chanvre, la ramie et le coton, un pouvoir colorant très efficace est nécessaire. Or, le pouvoir tinctorial de la renouée est 20 fois supérieur à celui du pastel. La teinture tenace imprègne les paumes de l’artiste comme celle de ses maîtres japonais.
Photo (Vidéo Fondation Boghossian réalisée par Céline Gulekjian )
Les feuilles fraîches de la renouée sont broyées et ensuite plongées dans une cuve avec de la sorbe de bois et des racines fixatrices. Au cours de cette macération des feuilles, prolifèrent de petites bactéries. Après 8 jours, le magma libère une substance tinctoriale sous la forme d’une belle mousse verte. C’est un processus de fermentation bactérien.
La matière de la cuve peut maintenir ses propriétés tinctoriales une année si elle est réalimentée en bactéries.
Le tissu à teindre est alors plongé dans la mixture de la cuve. Les tissus sortent jaunes puis verdissent avant de virer au bleu par l’oxydation de l’air: c’est une transformation chimique naturelle. Retirée de la cuve, essorée, la pièce à teindre peut y être replongée pour atteindre le ton souhaité.
Les nuances de bleu sont infinies et dépendent du nombre de bains mais aussi des facteurs extérieurs comme la température et les manipulations. Pour obtenir des tissus bleus avec des dessins blancs, des techniques de dessins avec ligatures et coutures préservent les zones du colorant.
Art et transmission.
Betty de Paris travaille avec d’autres couleurs végétales mais l’exposition « La route bleue » montre évidemment les œuvres indigo.
Les créations très pointues qu’elle réalise sont regroupées en séries et rendent hommage à l’industrie textile.
L’artiste fait le lien entre le passé et le futur, entre des techniques végétales naturelles que nous utilisions jusqu’au 19 ème siècle et qui représentent des alternatives à la disparition de colorants chimiques toxiques.
Sa pratique respectueuse de l’environnement est une piste pour d’autres acteurs textiles utilisant des colorants nocifs.
Tableau de la série «Vêtements du monde»
Betty de Paris enseigne et transmet son précieux savoir via des formations et cours.
Elle organisera en mai prochain un stage de deux jours d’ initiation à la cuve d’indigo dans son atelier à Paris.
Et en Belgique?
Anne-Sylvie Godeau a la passion des couleurs végétales et produit des peintures artisanales aux couleurs végétales.
Elle aime le bleu indigo et cultive en mode bio des plantes polygonum sur notre territoire. Son laboratoire est établi dans une ancienne laiterie de la ferme du Bois Saint-Servais à Jodoigne.
« Le Soir 22 septembre 2015 p.14 »
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