
Evasion

Le soleil s’étant tellement infiltré dans un beau dimanche de février, j’ai décidé de visiter le projet KANAL Centre Pompidou à Bruxelles (quai des Péniches, le long du canal Bruxelles-Charleroi , près de la Place de l’Yser). Il n’est pas trop tard de s’y rendre avant sa grande opération de transformation, pour les amateurs retardataires qui voudraient tâter le pouls de ce bâtiment mythique qui abritait le majestueux garage Citroën.
André Citroën avait acheté ce terrain au début des années 1930 car c’était un lieu idéal pour sa nouvelle usine automobile qui fut longtemps la plus grande d’Europe. Situé dans un ilot de 35.000 m2, je découvre la façade arrondie de cette cathédrale de verre et d’acier de 21 mètres de haut, avec un showroom ouvert sur la ville. Ensuite, j’entre par les ateliers situés le long des quais du canal et me glisse dans les pas des anciens ouvriers ou déambule dans les bureaux, showrooms, le tout conservé à l’état brut sur cinq étages.
Le parcours de visite est jalonné de plusieurs expositions, grandes installations, ou créations inédites d’artistes.
House 3 (2017) construite par plus de 170 personnes (étudiants et professeurs du laboratoire Alice et professeurs de l’Ecole Polytechnique de Lausanne. House 3 se définit comme une invitation à être, à penser et à partager.
Ross Lovergross pour Lasvit 1958. Pavillon Lasvit Liquid kristal, 2012 : les panneaux de verre donnent l’impression de passer de l’état solide à l’état liquide par un jeu d’effets optiques.
Certains halls auraient mérité sans doute d’être plus occupés ou investis peut-être par des artistes bruxellois? J’ai aimé ce passage sans stress, dans un lieu différent d’une promesse qui demande à éclore: c’est le but. Cette expérience incite à la réflexion sur les qualités esthétique indéniables de ce bâtiment et son futur muséal. J’étais contente d’avoir choisi le métro (Yser) car le parking n’est pas aisé.
Les travaux de Kanal-Centre Pompidou débuteront à l’automne 2019 avec une équipe d’architectes en association: les Belges de NoA, les Suisses de EM2N et les Britanniques de Sergisson Bates. L’ouverture définitive du musée d’art moderne et contemporain, et du musée d’architecture est prévue pour 2023.
Avec ce laboratoire d’art contemporain, Bruxelles pourrait trouver un pendant actuel à ses richesses artistiques et historiques, une ouverture d’horizon sur notre monde en transition.
Espérons que le charisme et l’audace d’André Citroën* imprègnent les lieux et les divers artistes ou habitants qui se saisiront de ce nouvel espace!
Où ? Quai des Péniches, 1000 Bruxelles
Quand ? Jusqu’au 10 juin 2019 (fermé lundi et mardi)
Un feu de foyer crépitant pendant huit heures: cette émission autour du feu de foyer diffusée sur la chaîne publique NRK attira près d’un million de spectateurs en Norvège.
Dans la suite du mouvement Slow des années 80 qui répondait à l’accélération globale de nos vies, la Slow TV aide à canaliser nos bouillonnements d’énergie et à ralentir. Au contraire de plate-formes comme Facebook et Twitter qui sont instantanées et facteurs d’accélération de nos rythmes de fonctionnement.
La Slow Television (télévision lente), avec des valeurs de partage, de respect et d’amour de la nature, caractérise un genre d’émission, de film, de vidéo de longue durée (souvent plusieurs heures). Les sujets filmés (une scène, un paysage, un individu) le sont sans intervention disruptive de la caméra ou du montage. La tranche de vie filmée, pas nécessairement en direct d’ailleurs, est restituée telle quelle dans son intégralité, dans son étendue temporelle naturelle, sans condensé.
L’idée technique semble simple. Des caméras embarquées dans des trains ou bateaux nous font voyager à leur rythme. Ou l’utilisation de plans fixes reconstitue une ambiance comme celle du feu de foyer. Il ne s’agit donc pas de ralentir l’image ni de modifier la cadence de prise de vues ou la vitesse de diffusion.
Si on peut imaginer un précurseur dans le slow cinéma avec « Sleep »*, les premiers pas de la Slow TV viennent bien de Norvège *. En 2009, lors du centenaire de la ligne ferroviaire Bergen-Oslo, des caméras embarquées dans un train filment les paysages du voyage. Près du quart de la population norvégienne a fait partie de ce voyage inédit de 7 heures et 16 minutes sur la chaîne norvégienne NRK2. Depuis, la NRK a aussi montré la confection d’un pullover en huit heures et 35 minutes, de la tonte du mouton à la dernière maille. France 4 a lancé en 2014 « Tokyo Reverse » la première «Slow TV» française d’une durée de 9 heures et 10 minutes. De nature expérimentale, elle est réalisée par Simon Bouisson et Ludovic Zuili qui filment dans les rues de Tokyo un homme déambulant, en train de marcher à reculons.
Quels sont les bénéfices pour nous, spectateurs des programmes Slow?
Regarder un moment les poissons dans un aquarium diminue le stress et stabilise la pression artérielle comme l’ont montré certaines études.
De même, certains patients reconnaissent que la vision de ces slow films s’avèrent positive pour eux. Certaines vidéos, par leur aspect répétitif, ont un effet hypnotique qui désarme la douleur; des salles de soins, de transfusions utilisent d’ailleurs ce type de vidéo appropriée pour aider leurs patients. Pour des malades alités, les murs de leur chambre s’élargissent à l’univers, l’ennui est apprivoisé et cette distraction est un soutien indirect à la rêverie.
Les atouts de ce genre particulier du Slow cinéma, TV ou vidéo ne suscitent pourtant pas l’engouement car ils sont méconnus. Les moniteurs diffusant cette production lente dans des salles communes restent considérés comme des gadgets.
La Slow programmation n’est pas une innovation technologique. Au contraire des tendances actuelles de zapping et de la course permanente «contre le temps», nos natures humaines individuelles sont souvent bienveillantes à l’idée d’un ralentissement de rythme de vie. La magie de la Slow TV ou vidéo réside dans l’opportunité qu’elle fournit de reconnecter notre observation et nos perceptions humaines, à la nature et au monde qui nous entoure en respectant leur propriété fondamentale, l’écoulement objectif du temps. Voici un exemple réalisé par JalonBleu: Les oiseaux dans mon arbre.
La lenteur a aussi son efficacité ! Qu’en pensez- vous ?
*« Sleep » est un film américain en noir et blanc d’ Andy Warhol en 1964. Il filma le sommeil du poète John Giorno.
*Lors d’une courte conférence, le producteur télé Thomas Hellum explique avec humour comment son équipe et lui ont commencé à diffuser des événements longs et ennuyeux, souvent en direct avec des spectateurs captivés.
Onni Rellonen, petit entrepreneur en faillite et le colonel Hermanni Kemppainen, un veuf éploré, ont chacun l’idée de se suicider. Ils se rencontrent par hasard, à ce moment, dans une grange.
Mais la grange n’était pas vide !
Ils dialoguent et décident de rassembler discrètement au sein d’une nouvelle association d’autres candidats au suicide pour un projet de suicide collectif. Six cents désespérés se manifestent. Au terme d’un symposium et de discussions, un groupe de soixante suicidaires décident de passer du bon temps et de voyager tous ensemble avant la date limite qu’ils se sont fixée. Ils embarquent dans un car de tourisme pour une expédition pittoresque qui les mènera de la Finlande au Portugal, au cap de la Fin du monde.
L’auteur
Né en Laponie finlandaise en 1942, Arto Paasilinna est décédé 2018. Il fut bûcheron, ouvrier agricole, journaliste. Il est l’auteur d’une vingtaine de romans traduits en plusieurs langues dont « Le meunier hurlant », « Le lièvre de Vatanen » et, en 2001, « La douce empoisonneuse ». Depuis 2010, Arto Paasilinna, victime d’un accident vasculaire cérébral, séjournait en maison de soins. » Petits suicides entre amis » parut à Helsinki en 1989.
Commentaire
« Le plus grave dans la vie c’est la mort, mais ce n’est quand même pas si grave » dit la citation en exergue du livre.
Arto Paasilinna est un spécialiste du roman picaresque. Il a l’art de nous transporter dans des aventures extravagantes, autant de prétextes à présenter des tableaux de vie et une galerie saisissante de portraits d’êtres de toutes les couches de la société et de tous les pays. Les critiques de la Finlande (chapitre 20) ou de la Suisse (chapitre 31) sont cinglantes et désopilantes.
…les valaisans ne pouvaient tout simplement pas accepter le projet du groupe…
Dès le second chapitre, le lecteur est embarqué dans le voyage. La plume acide d’Arto Paasilina nous montre que l’idée de suicide, la vieillesse, le désespoir peuvent coexister avec les plaisirs de la vie, un bon repas, un verre de vin, un voyage. Ce sont bien nos contradictions humaines. Les problèmes existentiels des hommes sont décrits sans concession. Le filtre d’un humour subtil déniche derrière le masque de ces désespérés, leur besoin d’entraide, d’amour ou de compagnie. Le paradoxe est que leur projet commun mortifère, l’idée de suicide, rassemble les participants et les retransporte dans la vie.
Une phrase
« Le sentiment d’une même appartenance avait consolidé leur confiance en soi et sortir de leur univers étriqué leur avaient ouvert de nouveaux horizons » P. 267
« Petits suicides entre amis » Arto Paasilina, Éditeur : GALLIMARD (26/05/2005)