Fredrik Welin, 70 ans, médecin à la retraite, vit seul et reclus sur son île de la Baltique. Entre ses baignades matinales dans l’eau glacée et ses échanges sociaux réduits avec les habitants de l’archipel, la vie de Fredrik est tranquille. Une nuit d’automne, sa maison héritée de ses grands-parents est incendiée. Il est soupçonné d’y avoir mis le feu pour escroquer les assurances.
Frederik s’installe dans la vieille caravane de sa fille au fond de son jardin. Il s’interroge: à soixante-dix ans, que lui reste-t-il?
Son penchant amoureux pour une journaliste locale Lisa Modin et les ennuis de sa fille Louise (40 ans) qui a besoin de lui le maintiennent à flots. Animé par une soif d’affection, il revisite sa vie, tenaillé par le doute, les regrets et la peur face à la mort.
« J’ai identifié des fragments de câbles, de plombs fondus provenant de mon tableau électrique et un petit objet tordu, noirci qu’ il me semblait vaguement reconnaître » (page 31 )
L’auteur
Henning Mankell (1948-2015), écrivain suédois, partageait son temps entre la Suède et le Mozambique. Il est l’auteur d’une série policière ayant pour héros l’inspecteur dépressif Kurt Wallander. Mankell a également publié des ouvrages de littérature pour la jeunesse. Publié quelques mois avant sa mort, et suite indépendante de son roman «Les chaussures italiennes», «Les bottes suédoises» fut son dernier roman qu’il écrivit alors qu’il se savait condamné.
Commentaire
Dans ce récit, Henning Mankell évoque le maelström* de la vieillesse, avec ce sentiment de la mort qui rôde et ce désir de vivre encore. Les réflexions de l’écrivain sur la solitude, la vieillesse, les relations père/fille et la société sont poignantes. On y décerne sans peine le questionnement d’un auteur confronté aux mêmes affres.
Le lecteur s’attache malgré tout à ce vieil homme lunatique, ronchon, solitaire, maladroit même si l’intrigue est faible. En proie aux doutes constants, le cadre de vie du vieil homme disparaît en une nuit! Ses souvenirs ne l’aident pas car son parcours de vie n’a pas été lumineux mais terne. Les sentiments confus et contradictoires de Frederik l’amènent à refaire défiler « les carrefours successifs de sa vie ».
Dans ce récit, on retrouve des points communs au substrat de la vieillesse :
- L’attachement viscéral au temps subtilement inséré dans la trame de l’histoire (montre, réveil) est pour les personnes âgées une sorte de contenant rassurant qu’elles maintiennent à tout prix. « L’enjeu du temps… »
- L’importance de la nature est souvent un réconfort. Elle apporte bien-être et plaisir à Frederik tout en étant une source d’enseignement. « Quelques oies du Canada tournoyaient dans le ciel gris comme si elles n’arrivaient pas à décider ou était le sud. »
- L’interrogation concernant les «carrefours successifs de la vie»: certains grands aînés désabusés imaginent ce qu’aurait pu être leur destin, si leur choix à un moment donné de leur vie passée avait été autre. Ouvertement exprimées, ces cogitations sont parfois d’une grande violence pour l’entourage, parfois gommé de ce passé imaginaire!
Mankell, écrivain, a glissé dans son livre de subtiles allusions à la valeur et au rôle de l’écriture (poème, journaux intimes …) même si « les mots meurent aussi ».
Les paysages sont décrits avec sobriété.
Henning Mankell nous délivre ici son ultime réflexion. Cet ouvrage de fiction est intéressant car il nous apporte aussi un témoignage sur la vie, son sens, sa finition à travers le regard d’un septuagénaire.
La citation de préface venait de la Chanson de Roland « Il a beaucoup appris, celui qui connut la douleur» et doit, à mon sens, être reliée à la postface. Par cette boucle, nous détenons l’observation majeure de Henning Mankell en fin de vie, toute entière illustrée dans ce livre :
«Puisque la vérité est à jamais provisoire et changeante »
Une phrase
« Comment allais-je faire pour supporter la réalité de mon propre vieillissement, de ma maison incendiée et de cette impression de vivre au milieu d’un grand vide où personne ne se préoccupait de savoir si je tenais le coup ni même si j’étais encore en vie? Ou alors, si quelqu’un s’en souciait, c’était uniquement pour me soupçonner d’être devenu fou et de jouer avec des allumettes et des bidons d’essence. »
Les bottes suédoises, Henning Mankell, Seuil, 368 pages, 2016.
* Appelé aussi « trou noir de l’océan ». En Norvège, près des îles Lofoten, on constate un effet de vases communicants entre le Vestfjord et la Mer de Norvège quand la marée remonte vers l’Océan Arctique. Le courant s’inverse et de larges courants marins circulaires se forment: c’est le Maelström.