Relations robotisées et fonctions cognitives des personnes âgées vulnérables. (5)

L’introduction de robots auprès de personnes âgées en milieu hospitalier ou en maison de repos suscite des réactions enthousiastes. L’attrait de la nouveauté!

Pour analyser scientifiquement les répercussions de ces robots sur les fonctions cognitives des personnes âgées vulnérables, le recul est trop faible. Et d’ailleurs, la question de l’impact de relations robotisées sur les fonctions cognitives semble moins prioritaire s’il s’agit de personnes âgées vulnérables que d’enfants. Voilà une discrimination de fait qui devrait lancer une première question éthique dont personne ne se préoccupe.

Les robots aident les enfants  aussi. Un projet suisse « Avatar kids » permet aux enfants malades, hospitalisés ou chez eux de rester intégrés en classe grâce à Nao, un petit robot humanoïde de 58 cm.  Comme NAO s’inscrit dans une optique éducative, la société Aldebaran Robotics a conçu des applications qui personnalisent les tâches à effectuer en fonction des objectifs d’apprentissage.

Un autre programme dédié aux centres éducatifs permet d’utiliser le robot Nao pour faciliter la thérapie des enfants autistes. Une étude a démontré « une augmentation de 30 % des interactions sociales et une meilleure communication verbale d’enfants autistes lorsqu’un robot se trouvait dans la même pièce« 

En dehors de ce champ éducatif, la réaction des spécialistes et de la population en général envers le robot qui assumerait totalement un rôle social est troublante. Le robot « compagnon pour nos aînés » s’implante aisément chez nous comme nous l’avons écrit mais le robot « baby-sitter » qui prend la place de l’être humain est voué aux gémonies.

Faire garder ses enfants par un robot plutôt que par une baby-sitter devient un problème éthique même pour les spécialistes. Fisher Price en a fait l’expérience en commercialisant aux Etats-Unis un transat avec Ipad téléchargé d’applications pour stimuler les moins de 3 ans. La protestation a été immédiate. « C’est une véritable baby-sitter électronique«   s’enflammait la psychologue Susan Linn. On craint un impact négatif sur la formation de l’esprit des bébés!

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                                                                                                         Marché de Noël. Nice.

                                                        Dans un bel ordonnancement, des sujets tous alignés…Comme nous, dans le futur ?

La robotique s’intronise d’abord dans les populations vulnérables comme les seniors+ et les enfants pour révolutionner bientôt notre quotidien et surtout nos modes de pensée.

Réfléchir aux aspects de cette cohabitation robotique est devenu impératif. Les développeurs de ces technologies ne songent pas aux implications éthiques et juridiques.

Des questions éthiques émergent. Quelle place donnerons-nous aux robots? Le robot peut-il s’implanter partout, être autonome? Les robots sont-ils capables de morale,et de pouvoir? Permettra-t-on aux robots de se reproduire? 

Quel sera le statut juridique pour les robots? Quelle sera leur responsabilité en cas de dommage, de dérapage? Faut-il des règles définissant un cadre d’utilisation des robots? Y aura-t-il des balises aux logiques conquérantes des robots?

La question primordiale est posée par le philosophe Mark Hunyadi* Voulons-nous qu’une grande partie de nos interactions se passe avec des androïdes ?».  Allons-nous vers une société qui se déshumanise? Les commerciaux ont décidé pour nous jusqu’à présent et  jouent à la fois de l’aspect innovation et des atouts financiers de ces collaborateurs robotisés jamais malades. Les risques éventuels pour le devenir du potentiel humain sont totalement minimisés. La course technologique toujours valorisée et l’opacité des programmes au service d’intérêts privés masquent bien la face sombre de ce modèle et neutralisent toute réaction. Nous sommes déjà dans « la vie algorithmique » **comme la définit Eric Sadin « qui se caractérise par l’application d’une raison numérique à l’ensemble des gestes du quotidien de l’homme moderne« . Eric Sadin estime «  impératif d’ériger des contre-pouvoirs capables de contenir la puissance du technopouvoir« .

En attendant cette riposte, projetons notre futur: des robots aideront nos enfants à faire leurs devoirs au lieu de nous, parents. Mieux ces robots au service de nos enfants (pourquoi pas ?) feront les devoirs à leur place. En peu de temps, nous serons tous abêtis ou asservis ***.

Continuons la projection. Ces mêmes robots rendront visite à notre place à notre papy placé dans un home sous surveillance électronique «puisque l’interaction est bonne» et que «l’humanoïde a cette neutralité bienveillante et rassurante». Ils nous enverront même  un rapport numérique complet de leurs constatations.

Est-ce bien ainsi que nous voulons vieillir?

 

 * « Je ne suis pas contre les robots. Le mal moral ne consiste pas dans la technologie ou les robots. Mais dans le fait que ces évolutions se font sans réflexion, sans qu’on y prenne garde, sans qu’on se rende compte de ce qui est en jeu. L’irréflexion, la politique du fait accompli, voilà le mal moral« 

** « La vie algorithmique : Critique de la raison numérique » de Éric Sadin

*** « Beaucoup de cadres d’entreprises de Google, Yahoo, Apple et eBay semblent en effet avoir inscrit leurs enfants à la Waldorf School dont la philosophie ne laisse aucune place à la technologie qui selon la direction, représente une menace pour la créativité, le comportement social et la concentration des élèves »

2 commentaires sur “Relations robotisées et fonctions cognitives des personnes âgées vulnérables. (5)

  1. Et voilà les premiers robots dans l’un de nos hôpitaux wallons!
    Le CHR de la Citadelle à Liège innove avec trois robots qui vont aider les médecins et les infirmiers des services de pédiatrie, de gériatrie et de rééducation. Un quatrième robot accueillera bientôt les patients à leur entrée dans l’établissement.
    http://www.dhnet.be/regions/liege/des-robots-pour-la-reeducation-premiere-wallonne-au-chr-de-liege-567185d93570b38a57a200

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  2. On allège donc progressivement et subrepticement les charges du quotidien auprès des seniors…avec l’arrivée des robots.
    Mais quel étrange paradoxe de voir que ce sont auprès des personnes les plus vulnérables que l’installation des humanoïdes progresse le plus rapidement alors l’autonomie constitue une revendication farouche et essentielle des seniors!
    Nous sommes tous bien victimes d’un «aveuglement coupable»…
    «C’est l’autonomie humaine, le pouvoir de nous décider librement en conscience et en responsabilité qui, actuellement s’affaiblit au profit d’une délégation progressive concédée à des systèmes» Entretien avec Eric Sadin, Le Soir p.25, 17 décembre 2015.

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