« Amazones » Raphaëlle Riol

Lors d’une visite à sa grand-mère dans une maison de retraite à Caen, Alice quitte le Repos- Fleuri » accompagnée d’une autre pensionnaire qui l’interpelle: « Je m’appelle Alphonsine. Sortez-moi de là ».

Alice, la trentaine, travaille dans l’événementiel et Alphonsine a 89 ans mais elles se découvrent de nombreux points communs: elles ont un souvenir déplorable de leur vie de couple, sont satisfaites que leur compagnon soit décédé et détestent la campagne.

Marquées par leur histoire personnelle et assoiffées d’indépendance, elles transgressent les contraintes sociales comme des guerrières ou des amazones. Mais quelles alternatives ont-elles réellement ?

En quête d’un autre destin, elles rejoignent la plage pour crier …

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 «Au loin, la mer se dérobe toujours plus et déteint doucement.    

… Bleu-gris, gris-bleu, gris foncé ». page 200

L’auteur

Née à Clermont-Ferrand en 1980, Raphaëlle Riol est professeur de lettres en région parisienne. Elle a publié en 2011 un premier roman « Comme elle vient ».

 

Commentaire

La fine analyse psychologique d’un duo inattendu et l’évolution de la place des femmes dans la cellule familiale et la société forment la trame et la cohérence de ce roman. Le ton ironique de ce livre très intéressant m’a beaucoup plu.

Malgré les obligations familiales, nous sommes parfois tous, comme Alice ou Alphonsine, des électrons libres. Simplement, certains le sont à temps complet et d’autres à temps partiel !

 

Le sens de la formule de l’écrivaineExtinction de voix ou voie d’extinction page 11) égaie les pages du livre qui aborde un sujet grave. Ces malices stylistiques s’accordent à l’état d’esprit des deux rebelles, qui n’ont plus rien à perdre dans une société cruelle.

« Vous savez Alice, de nos jours, ne pas être hors la loi, c’est perdre la tête… Que ce soit au travail, chez soi, ou en maison de vieux ». page 189.

Deux femmes, deux destins vont se mêler. Derrière les apparences simples de chacune, est enfoui leur monde intérieur complexe.

Petit à petit, l’écrivaine fouille leur psychologie, déterre et dévoile au lecteur complice leur vérité singulière, celle qui a « perforé » leur corps et « vrillé » leur esprit. Pour l’une et l’autre, cette vérité n’est pas connue ou admise par les proches ou enfants : ceux-ci n’ont pas envie de savoir et restent prisonniers de leur état d’esprit. L’«épais tissu d’évidences fragiles » page 200 est difficile à déchirer. Même à sa comparse Alice, Alphonsine n’a plus envie d’expliquer l’incroyable injustice de son sort. 

Une pensionnaire de home dans une situation similaire me disait récemment: «Oui, je pourrais expliquer ce qui s’est passé; mais il arrive, qu’après avoir trop souffert, le coeur se clôt, les mâchoires se serrent, la voix  diminue…».

Plus de cinquante ans séparent Alice et Alphonsine. Elles sont pourtant confrontées  toutes deux à l’éternelle domination masculine. La difficile question de la place de la femme, toujours d’actualité, est bien cernée notamment dans le cadre professionnel.

Une phrase

 « Parce que le comble de l’impardonnable, Alice, croyez-moi, c’est la résignation». page 126

 

Amazones, Raphaëlle Riol, coll. La brune. Editions du Rouergue 2013, 208 pages.