Lia Palin vient d’avoir vingt ans alors que son arrière-grand-mère Alice, 90 ans, s’est éteinte paisiblement. Lia va rejoindre, dans les Landes où se trouve la maison de la défunte, sa mère Agnès, 47 ans, paléontologue, sa grand-mère Sol, tonique septuagénaire et la meilleure amie et confidente d’Alice, Marie, 90 ans. Durant ces quelques jours de deuil, elles mettent de l’ordre dans les affaires de l’aïeule. Lia, la narratrice du récit, découvre des carnets de notes et des lettres témoignant d’un douloureux secret gardé par la défunte pendant 60 ans et qui a ligoté la vie amoureuse des quatre générations de femmes. Que faire de ce secret ?
«Marie avait sillonné la ville arabo-andalouse, fixé sur la pellicule les arabesques de fer forgé, le labyrinthe des buis et les fontaines chuchotantes de l’Alcazar»
Séville
L’auteur.
Journaliste française, Sophie Brocas a entamé une carrière de haut-fonctionnaire dans les ministères et la préfectorale et est devenue conseillère du président de la République, François Hollande. En mars 2017, à 56 ans, elle est la première femme préfet d’Eure-et-Loir. Elle a écrit Le cercle des femmes (2014) et Camping car.
Commentaire.
Ce roman classique évoque les dégâts occasionnés par le secret entourant la disparition du mari de l’arrière-grand-mère, Alice. Ce non-dit, pire ces mensonges construits par Alice ont décidé de la fragilité des liaisons amoureuses des femmes de la famille et ont ricoché comme un galet à la surface de chaque génération pour les victimiser.
Nous connaissons bien aujourd’hui les risques de taire nos secrets de famille puisque la psychogénéalogie depuis les années 1970 a montré que les troubles psychologiques d’une personne peuvent être conditionnés à son insu par les traumatismes ou secrets de ses ascendants.
Ce qui m’a semblé intéressant dans ce roman, c’est qu’il montre que le nœud de la difficulté ne réside pas dans la nature de l’évènement initial mais dans le traumatisme vécu par Alice et des choix qu’elle a opérés. La sève toxique mensongère instillée par Alice à Sol et puis à Agnès tire son atrocité de l’insistance à maintenir son secret enfoui au détriment du bien-être de sa fille.
La vérité découverte à propos d’une histoire de famille qui émerge est souvent diffusée par étapes. Comme dans ce roman, ce qui a été occulté, percole et s’éclaircit au fil de temps parfois très longs.
En poursuivant par une recherche personnelle la quête de son histoire, Lia brise le cercle vicieux, retrouve son chemin et confiance en ses capacités. Elle peut faire, sans ombre, son album familial. Par contre, sa mère et sa grand-mère ne s’engagent pas dans ce chemin direct pour une réécriture de leur vie. Leur vécu est différent.
La plupart d’entre nous avons nos petits secrets, c’est respectable s’ils ne causent pas de souffrance ou de ravage à autrui. Par contre partager naturellement, sans attendre un moment final, toutes les informations qui touchent aux origines ou à l’avenir familial reste souvent la meilleure voie de respect du droit de nos proches.
Nous sommes aussi dépositaires directs ou indirects de secrets d’autres personnes. Si nous sommes des confidents loyaux, nous gardons ce secret jusqu’à l’oublier.
En parler ou pas? Pas si simple de rester passif devant la souffrance d’un tiers impliqué malgré lui. On mesure toute l’ambiguïté de la position de Marie, même après le décès de son amie. La vérité est à manier avec précautions d’autant que le secret n’a souvent plus les habits d’une vérité absolue purificatrice mais s’appuie sur des convictions, un climat d’époque dépassé plutôt que des preuves. Ce sera grâce à Marie que Lia obtiendra les éléments utiles pour se libérer de sa souffrance injuste.
La vie moderne plus décomplexée avec moins de tabous, les changements rapides du monde nous imposent de nous adapter rapidement. Cette flexibilité nous rend sans doute moins directement tributaires aujourd’hui des mystères d’un noyau dur familial et à la fois plus aptes à partager dans la simplicité une parole libérée à propos de la situation traumatisante ressentie par un proche. D’où l’importance pour nous d’être à l’écoute dans ce cas…pour notre bien et celui de nos enfants.
Un passage.
« J’avais plongé dans le taillis compliqué des non-dits, des craintes, des entraves données en héritage à la naissance.(…) Peut-être était-ce à moi de faire ce travail puisque ma mère avant moi et ma grand-mère avant elle y avaient renoncé. »