Pour échapper au rôle qu’il joue dans ce monde et surtout à l’humeur capricieuse et méchante de sa femme Monik, Désiré Cordier, bibliothécaire retraité, à la mémoire d’éléphant, décide, à septante-quatre ans, de simuler la maladie d’Alzheimer. Avec ruse et talent, Désiré se plonge dans ce rôle du dément et parvient à duper tout son entourage. Il jubile et s’amuse des réactions de sorte qu’il plonge de plus en plus dans les dérives de la démence, de l’incontinence de l’absence de retenue. Il finit dans un home «Lumière d’hiver» où il retrouve parmi les pensionnaires un amour de jeunesse Rosa Rozendaal. Plus de retour possible sur ce chemin fou.
L’auteur
Né à Alost en 1972, Dimitri Verhulst, écrivain belge, connaît une enfance chaotique. Il commence sa carrière d’écrivain en 1994, publie en 2000 le roman Niets, niemand en redelijk stil puis De verveling van de keeper. En 2003 paraît le roman Hôtel Problemski. Son roman autobiographique (2006) La Merditude des choses obtient un grand succès et le film qui en est tiré, sera couronné au festival de Cannes en 2009. De intrede van Christus in Brussel (2011) est suivi en 2013 par De laatkomer (2013), traduit en français en 2015 sous le titre Comment ma femme m’a rendu fou. Son dernier roman Kaddisj voor een kut (2015) évoque les conséquences d’un séjour dans un établissement de la jeunesse.
J’ai toujours aimé donner à manger aux oiseaux et aux canards…
Sur le roman
Certes Désiré aurait pu quitter sa femme bien avant ses 74 ans. Le temps a dégradé son couple et les conjoints ne se supportent plus. Ce n’est pas rare.
Le comportement conditionné de Désiré l’a emmuré dans ce milieu familial toxique pour lui. Quand il travaillait encore, il pouvait se réfugier dans la lecture ou la musique. Pensionné, il espérait apprécier ses heures de liberté à la maison mais tombe sous la coupe de sa femme. Comme Elsa Triolet l’écrivait à Aragon, Désiré «étouffe de toutes les choses pas dites » et décide d’habiter son existence avec le rôle du dément. Son autre vie commence à 74 ans quand il décide de se délester des habitudes quotidiennes en empruntant un «chemin de dingue».
Outre la dégénérescence d’un mariage raté où les reproches et la haine sont arrivés rapidement, l’auteur Dimitri Verhulst dénonce aussi les conditions de vie dégradantes du home, les méthodes parfois autoritaires des soignants, l’éloignement progressif des familles, le prix du séjour, la fin de vie en catimini.
L’observation des évolutions du tissu familial, de l’attitude des amis ou anciens collègues évanescents, des pensionnaires séniles de la maison de retraite est impitoyable mais très proche de la réalité. Hélas.
Face au refus de prendre l’autre tel qu’il est, d’accepter de se positionner face à une difficulté insurmontable humainement, certains empruntent parfois des pistes pathétiques qui vont les détruire.
Malheureusement, à cet âge avancé, on n’a sans doute plus la force de redistribuer les cartes…
Un passage
« Les gens de mon âge n’ont besoin ni de Facebook ni d’un autre truc Internet socialisant pour tromper la solitude, non, nous nous rencontrons dans la vie réelle avec une cruelle régularité aux enterrements et ce faisant entretenons de façon naturelle nos contacts avec un monde extérieur qui se rétrécit »
Publié en français sous le titre Comment ma femme m’a rendu fou, Dimitri Verhulst. Paris, Éditions Denoël, coll. Denoël & d’ailleurs, 2015, 250 p. Trad. du néerlandais par Danielle Losman.